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LA BATAILLE DE CRECY Samedi 26 août 1346 |
(Pierre Naudin, dans " le Cycle dOgier dArgouges ", Tome IV, Annexe V)
Sur lordonnance des batailles, Froissart écrit quEdouard III les disposa ainsi :
Le Prince de Galles, le comte de Warvich, le comte de Kenfort, messire Godefroy de Harecourt, messire Regnaut de Cobehen, messire Thomas de Hollande, messire Richard de Stanfort, le sire de Manne, le sire de la Ware, messire Jean Chandos, messire Barthelemy de Brubbes, messire Robert de Neufville, messire Thomas Cliford, le sire de Bourchier, le sire Latimer et plusieurs autres bons chevaliers et écuyers (..) environ huit cents hommes darmes et deux mille archers et mille brigans parmi les Gallois...
En la seconde bataille furent le comte de Norhantonne, le comte dArondel, le sire de Ros, le sire de Lucy, le sire de Villebi, le sire de Basset, le sire de Saint-Aubin, messire Louis Tueton, le sire de Multon, le sire de la Selle (lord Lascels) et plusieurs aufres; et étoient en cette bataille environ cinq cents hommes darmes et douze cents archers.
La tierce bataille eut le roi pour son corps et grandfoison selon 1aisement où il étoit, de bons chevaliers et écuyers; si pouvoient être en sa route et arroi sept cents hommes darmes et deux mille archers. Quand ces trois batailles furent ordonnées et que chacun, comte, baron et chevalier sçut quelle chose il devoit faire, le roi dAngleterre monta sur un petit palefroy, un blanc bâton en sa main (... et visita toutes ses batailles).
Quand on fait donner lartillerie...
Lisant la relation de cette bataille, le lecteur averti a pu sétonner que je ny ai pas inclus, ici ou là, leffet "démoralisant ", sur les hommes darmes de Philippe VI, des "fameuses" bombardes anglaises quon trouve un peu partout dans les textes français modernes consacrés à la défaite de Crécy.
Quil soit certain, ce lecteur, que si les Anglais avaient utilisé ces gros engins, Froissart demblée, Jean le Bel, lauteur anonyme de la Chronique des Quatre premiers Valois, et surtout Michel de Northburgh, RobertdAvesbury, Knighton, le héraut de Chandos, Gilles Li Muisis (1) , bref tous les minutieux chroniqueurs et même les témoins de cette sanglante affaire auraient mentionné leur présence et leur rôle.
- Mais les Grandes Chroniques... objectera-t-on.
Commencées peu avant 1274 en exécution dune volonté de Saint Louis, elles nallèrent tout dabord pas au-delà du règne de Philippe-Auguste (1223). Les religieux qui les rédigèrent nétaient guère au contact des réalités. De lannée 1340 à 1350, le texte, du latin, passe au français et elles sont entachées derreurs. M. Lacabane (bibl. de lÉcole des Chartes, qui les commenta et que cite B. Zeller, maître de conférences à la Faculté des Lettres de Paris, dans ses ouvrages sur la Guerre de Cent ans.
-1885, Paris, Hachette édit.) note à leur propos quil convient de nen faire vraiment cas que lorsque, relayant les moines anonymes qui se sont succédé à leur rédaction, elles sont continuées par Pierre dOrgemont, chancelier de Charles V, " ce qui donne à cette partie des Chroniques, qui est un texte officiel, une importance de premier ordre " (2)
- Mais Froissart a mentionné le rôle des canons ! Peut-on insister.
Certes, mais seulement dans la troisième rédaction de ses Chroniques et pour amoindrir, cest évident, les raisons de la déconfiture de Phillippe VI. Sous des pressions dont nous ignorons la nature, mais qui sont flagrantes, il fit plaisir à cette royauté française quil méprisait (une fois chez lui nétait pas coutume). Et sur sa lancée (peut-être même sous la menace), il augmenta de quelques lignes dailleurs fades son texte en faveur dun homme dont il navait point fait grand cas, lui, ladmirateur des preux, avant quil fût devenu connétable de France : Bertrand Guesclin.
Et puis, franchement, les Anglais nétaient-ils pas mieux placés que les Français pour savoir comment des hauteurs de Crécy se déroula la bataille ? Or, dans leurs textes, ni dans ceux des historiens modernes, point de canons.
Ces engins, cest un Italien, Giovanni Villani (1280-1348) qui leur donna leur grand rôle dans sa Nuova cronica, consacrée surtout à Florence, et dont il acheva le douzième et dernier volume en 1346. Etait-il à proximité du champ de bataille ? Non. Sétait-il informé auprès des vainqueurs et des rescapés du Val-aux-Clercs ? Il ne semble pas. Sa description de la boucherie de Crécy (six pages), lui paraissant terne, il y incorpora des canons.
Ces canons furent bien accueillis par les historiens français. Avec ces gros engins quasi intransportables (3) dans une fuite (et Edouard III fuyait) et la frayeur que leurs détonations provoquaient (bien quelles fissent moins de bruit que le tonnerre), la défaite des nôtres sexpliquait en partie ! Les uns en mirent deux, les plus cocardiers, quatre. Ces fausses "pièces" à conviction étant insuffisantes, lorage et les averses firent le reste.
Leau tombant dru, nous raconte-t-on, distendit les cordes des arcs et des arbalètes. Outre que cest méconnaître le maniement de larbalète que daffirmer cela, cest ignorer que lusage était daccrocher les cordes au bois de larc au tout dernier moment. Or, les arbalétriers et les archers furent massacrés par les chevaliers français au début de lengagement. La pluie, qui ne fut pas diluvienne, neut donc aucun effet négatif sur le comportement et larmement de nos piétons... Et puis, si çavait été le cas, les 10 000 ou 15 000 archers anglais neussent-ils pas été défavorisés eux aussi par le "mauvais sort" ?
De " pures " inventions
Certes, les canons existaient. Employés sur les nefs et sur terre, leur usage était toutefois restreint. On trouve dans un registre de la chambre des comptes de Paris, en 1338, une notation de Barthélemy Drach, trésorier des guerres, à propos dune somme dargent "destinée à Henry de Famechon pour avoir poudre et autres choses nécessaires aux canons qui étaient devant Puy-Guillaume (4) .
Le commentateur de Froissart, Henri Buchon, écrit quil doute quon en ait fait usage à Crécy "puisque
aucun des historiens contemporains ne fait mention dun fait aussi remarquable, excepté Villani, étranger, éloigné du théâtre de la guerre et de qui, par conséquent, le silence des historiens français et anglais, témoins pour ainsi dire, des faits quils racontent, affaiblit singulièrement le témoignage."
Dans sa monumentale étude sur le Moyen Age (Firmin Didot, Paris 1869), Paul Lacroix écrit : Il faut reléguer au rang des pures inventions lassertion de Villani, qui prétend que les Anglais durent à lemploi de lartillerie à poudre le gain de la bataille de Crécy : car il est certain que les armes à feu dont on put se servir à cette époque nétaient nullement propres à figurer dans les batailles rangées, et quelles ne se trouvent employées que concurremment avec les anciennes machines dans lattaque et la défense des places fortifiées. Non seulement le poids énorme et la construction grossière des affûts les rendaient dun transport difficile mais, destinées à loffice de catapultes, elles étaient construites, la plupart du temps, pour lancer de lourds projectiles en leur faisant décrire une ligne courbe, comme les bombes daujourdhui, et leur forme se rapproche, en effet, beaucoup plus de celles des mortiers que des canons modernes. (...) Ces engins (bombardes) étaient si imparfaits et si peu puissants quon préférait faire usage des machines à frondes.
Il me paraît superflu, ici, de consacrer des pages supplémentaires à la bataille puisquun auteur, Henri de Wailly, la étudiée tout au long dun ouvrage remarquable (5) .Or, dans cette analyse, il nest point question des "fameux" canons. Lauteur ne leur accorde quune longue note en fin de volume sous ce titre: Tira-t-on du canon à Crécy? On y lit les mêmes remarques que celles que jai faites et Henri de Wailly doute, lui aussi, que les pesantes bombardes aient pu suivre le charroi des Anglais de Saint-Vaast à Crécy : Edouard III, qui sélectionna strictement son corps expéditionnaire, se fût-il encombré dun appareil aussi volumineux et lourd pour ne pas sen servir ?
La question est posée. Certes, on trouva quelques boulets à Crécy, mais, précise Henri de Wailly, ils étaient en fonte... et les boulets fondus napparurent que sous Louis XI. " Rien n est donc certain ", conclut-il, " du côté des preuves matérielles. Lintervention éventuelle des bombardes neut, sur le terrain, pas la moindre influence. "
Ce nest point ce quaffirment les manuels dHistoire. " Sans les canons ", suggèrent-ils, " la justice eût triomphé : la victoire eût été française. " Nous ne sommes jamais en peine de prétextes et dimagination pour démontrer que nous restons, malgré tout, les meilleurs. Cette inventivité confine à la bassesse, quelquefois à lignominie, et sexerce dans tous les domaines. Sils sy intéressent peu ou prou, je renvoie mes lecteurs aux radios, télévisions et journaux de sport, ce nouvel opium du peuple. Quand nos parangons de vertus musculaires sont dominés, la faute en incombe toujours à la pluie trop froide ou trop drue, au soleil inclément (ou injuste), aux blessures inattendues (ou simulées), à la douteuse nourriture dun hôtel, à la partialité sinon à la perfidie dun arbitre ou des adversaires (6) .
Les journalistes du son, de la voix jointe à limage et de la plume ont mis au point tout un florilège de mots et dexpressions cocasses destinés à " faire passer la pilule " après lavoir copieusement dorée. Comme les histo-riens actuels, dailleurs, dont lhégémonie et la partialité sont devenues dautant plus oppressives quelles sont pieusement et politiquement encouragées (7) . Il ny a plus dobjectivité; il ny à que des objectifs : tricher avec les faits, maltraiter les mémoires, bourrer le crâne des jeunes générations de façon à annihiler leurs capacités de réflexion. Mais revenons à Crécy et aux batailles médiévales.
Depuis les Croisades
Elles sont brèves, ardentes, hardies et dune simplicité extrême. Cependant, la moindre erreur suscite des conséquences automatiquement catastrophiques étant donné labsence de commandement unique (manque ou lenteur des transmissions, discipline douteuse aux échelons supérieurs, orgueil inaltérable des chefs, etc.) Dès que lordre général a été fixé, la veille, en réunion dEtat-Major, rien nest plus changé dans les décisions prises.
Dautre part, le réseau de renseignements, linformation, la topographie sont des plus vacillants, douteux, sinon erronés. La cavalerie légère de reconnaissance nétait pas encore inventée (hussards, chasseurs, uhlans, cosaques). On envoyait quelques hommes en avant, choisis parmi lélite de la noblesse et même si lun deux donnait de ce quil avait vu un compte rendu exact et exprimait des réserves sur la façon dont le roi et ses maréchaux avaient décidé de conduire la bataille, ses conseils étaient fréquemment rejetés par ses pairs jaloux de limportance accordée à ses dires et à sa personne. On assimilait la prudence à de la couardise, la circonspection à de la traîtrise, et cela depuis les Croisades.
Il y a peu de chose à dire sur la technique de la bataille. Comment pourrait-il en être autrement ? Le but à atteindre était forcément la rupture du front adverse par une attaque puissante en pointe, triangle ou " museau de cochon ". Les " connestablies " en présence étant à peu près semblables en hommes mais nullement en matériel - les Anglais disposant dune archerie nombreuse, émérite et disciplinée - il ne pouvait être question de tactique denveloppement, dordre oblique (encore quil ait été employé, par transfert de la cavalerie lourde sur une aile ou sur lautre, initiative dangereuse en cas déchec). Sil existait une trop grande différence deffectifs (Crécy, Poitiers et plus tard Brignais), le plus faible choisissait un terrain à la mesure des dimensions de ses troupes.
Comme la cavalerie lourde était seule capable dobtenir une rupture rapide du front adverse, le " champ " devait être dégagé alors que lennemi était amené à choisir un terrain à obstacles pour briser lélan de cette cavalerie - ou bien dy créer des " barrages " : abattis, fossés, palissades, trous de loup, etc.
Une charge à pied ne devait pas couvrir plus de 100 mètres, une attaque de cavalerie plus de 250 mètres, sinon la fatigue brisait lélan et créait du désordre. Les embuscades furent des procédés destinés à lenrichissement de certains quand elles nétaient pas destinées à créer de linsécurité, voire des difficultés dans la logistique. Elles furent sans aucune valeur aux approches dune véritable bataille.
Vu par un romancier soi-disant historique couronné par lAcadémie française et la Société des Gens de lettres, Crécy est devenu un morceau de bravoure divertissant à maints égards. Les canons anglais y font, bien entendu, boum boum, " foudroyant de leur mitraille " les chevaliers français et les abrutissant de leurs déflagrations !
Il est vain de citer cent autres détails pour le moins détonants dans les quelques pages dun texte
inqualifiable consacré à cette seule bataille. Le roman tout entier comporte un bon millier dinexactitudes. Il est jonché de perles dun bel éclat. Je me serais contenté de hausser les épaules si je navais lu, dans un mensuel, lopinion de ce plumitif :
- Lhistoire, cest la liberté. On se trompe tout le temps dans le roman historique (!). On peut laisser errer son imagination... Je ne me plais vraiment que dans /Histoire (et pour cause !). Jy vis tout en sachant que ce nest pas vrai. Jaime le flou, la brume. Je suis incapable de me servir des sources en vieux français (!). Je ne travaille que sur des matériaux prédigérés (!!!).
Et lon sétonne que certains critiques vouent un inaltérable mépris à ce genre littéraire quand ceux-là mêmes desquels on devrait attendre un maximum dhonnêteté et dauthenticité le traitent aussi cyniquement !
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NOTES :
1. On parle moins de Gilles Li Muisis (Aegidius Li Muisis, abbé de Saint-Martin à Tournai 1269-1352), que des autres chroniqueurs, et pourtant ses relations des faits valent bien celles des "grands" auxquels on se réfère plus volontiers. Ses 52 pages sur Crécy, soit 500 vers que J.-O. Delepierre attribue à un trouvère de Jean de Hainaut, Colmi, ne mentionnent pas les canons. Et Jean de Hainaut était à la bataille!
J.-O. Delepierre dans sa Chronique des Flandres écrit dailleurs
" Si lon se rappelle que notre auteur écrivait en même temps que lévénement et dans une ville peu éloignée du lieu où lon prétend que se passait la scène; qu il recueillait avec soin les faits mémorables... le silence de notre chroniqueur diminuera peut-être le poids du témoignage de Froissart. " (Phrase citée à propos de lépisode des bourgeois de Calais qui sans doute ressortit davantage à la légende quà la réalité. Jean le Bel commente le dévouement des six bourgeois, lauteur de la Chronique des quatre premiers Valois les ignore. Un érudit du siècle dernier M. Bréquigny, a émis des doutes très sérieux sur cet épisode. Nous y reviendrons dans un prochain volume)
2. Erreurs de jours, de dates, etc. Les textes des Grandes chroniques et de Froissart paraissent contradictoires. Quon en juge :
Troisième rédaction de Froissart "Quand le maître des arbalétriers eut ordonné et arouté les Génois pour traire, ils commencèrent à huer et à juper moult haut; et les Anglais demeurèrent tout coi et déclisquèrent aucuns canons quils avaient en la bataille pour esbahir les Génois. "
Grandes chroniques:
(Le roi Philippe) " sen alla à toute sa gent assembler aux Anglais, lesquels Anglais jetèrent trois canons; dont il advint que les Génevois arbalétriers qui étaient au premier front, tournèrent le dos et laissèrent traire." Le verbe descliquer signifie aussi bien débander, que faire jouer, détendre et décharger.
3. Dans son Siècle des Plantagenêts et des Valois, Kenneth Fowler note que les bombardes anglaises pesaient 4 tonnes, et les veuglaires de 150 kg à 4 tonnes. Le biographe dÉdouard III, Paul Johnson (Antonia Fraser éditeur, Londres 1973) qui consacre un long chapitre de son ouvrage à lexpédition de Normandie, ne mentionne aucun canon sur les hauteurs de Crécy.
4. Puy-Guilhem (Puyguilhem, Périgord). Deux ans plus tard, les habitants du Quesnoy (Nord) repoussèrent un assaut avec des
bombardes lançant des carreaux (de grosses flèches).
5. Crécy, autopsie dune bataille, par Henri de Wailly (éditions Lavauzelle, mai 1985).
* Il convient de préciser ici que la première édition de la Fête écarlate date de mai 1983, donc que Pierre Naudin ne put être influencé par cet ouvrage. (Note des éditions Aubéron.)
6. Au vent soufflant contre les Français en début de partie (dixit un commentateur de la première chaîne lors du match France-Bulgarie, le 17 novembre 1993). Méchant vent qui soutirait le ballon aux pieds des tricolores. Méchant aquilon, dautant plus pernicieux que, ce soir-là, il ne soufflait quau Parc des Princes, au détriment des " nôtres " et pour complaire aux Bulgares!
7. Contrairement à la plupart dentre eux, je ne reconnais point, ni dans leurs textes ni dans leurs larmoyants ou furieux propos, la période de lOccupation que jai vécue. Javais 17 ans en 1940. Il nexiste, hélas ! que quelques historiens honnêtes, Henri Amouroux en fait partie dans une flopée de raconteurs de balivernes.