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SENGOKU
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An de grâce 1564.
La dernière chance réelle - avant quelques siècles - pour restaurer en Europe un empire à vocation universelle, a disparu quelques années plus tôt avec la paix d'Augsbourg (1555) et la mort de Charles Quint (1556). La conception de l'Etat-nation triomphe. Le Concile de Trente s'achève en 1563 sans avoir pu rétablir l'autorité pontificale sur l'ensemble des communautés chrétiennes.
Que sait-on alors du
lointain Ci-pango en Europe ? Peu de choses en vérité. Les Portugais,
marchands et jésuites, arrivés depuis peu (1542), rapportent que
d'or, il y en a peu, et en tout cas moins que n'en pouvait rêver Marco
Polo trois siècles plus tôt.
Il y a bien des mines d'argent, mais elles sont tenues par des seigneurs féodaux plutôt rétifs. Ici, un Cortès ne suffirait pas pour conquérir ce royaume, cent y suffiraient à peine. Et d'ailleurs, de royaume ou d'empire il n'y point. Il y a bien un pape, ou quelque chose de ce genre, qui réside dans une belle cité agitée du nom de Kyôto, et qui se fait appeler du nom de tennô (le " Souverain du Ciel "). Mais le pays semble déchiré par des guerres civiles et religieuses sans fin, dignes de celles qui sévissent en Europe. Et le roi de ce pays, le shôgun, semble incapable de faire régner l'ordre. Mais ceci est une autre histoire ...
Mon du clan Oda
Un jour de l'an 1564, Oda Nobunaga reçoit une lettre de l'empereur régnant Ogimachi. Le tennô y fait état de biens relevant directement de la maison impériale, situés en Mino et en Owari ; il compte, écrit-il, en récupérer la jouissance (et les rentes afférentes) grâce à l'autorité d'Oda Nobunaga, qu'il n'hésite pas à désigner, en se référant à la terminologie chinoise sur l'aptitude des uns ou des autres à gouverner comme " le meilleur de tous, et dont l'inspiration suit la Voie du Ciel ". Etrange éloge d'un aventurier sous le pinceau d'un empereur : fallait-il que ce dernier soit pauvre, frôlant la misère, comme tous ses prédécesseurs, depuis cent ans et plus que duraient les guerres intestines. Ayant accédé à sa charge depuis plusieurs années déjà (1557), il n'était pas encore sacré, n'ayant jamais disposé de la fortune suffisante à la cérémonie d'investiture. Et il cherche un payeur : le plus offrant, solution dangereuse, mais avec Nobunaga, justement, les inconvénients semblent moins redoutables qu'ailleurs. Malgré l'âpreté de ses ambitions, Nobunaga n'est après tout qu'un simple daimyô, un chef de guerre parmi beaucoup d'autres, aussi compétents que lui et de meilleure naissance. Assez fort pour aider, pas assez respectable pour gêner : ne ferait-il pas un magnifique champion de la cause impériale ?
La combinaison paraît tellement pleine d'intérêt que, au même moment, l'entourage du shôgun arrête son choix aux mêmes calculs. C'est que Kyôto vient de vivre un événement dramatique : l'assassinat (1563) de Ashikaga Yoshiteru, le shôgun en titre. Son frère, Yoshiaki, s'est mis en quête d'une protection, pour lui-même et pour son clan : mais déconsidérée par des années d'incurie, la famille est abandonnée de tous et aucun de ses vassaux ne se porte à son secours.
Tout bien réfléchi, Nobunaga accepte cette tâche ingrate,
sans plus s'embarrasser de considérations morales sur l'incompétence
et la pusillanimité des shôgun Ashikaga, ni sur leur responsabilité
dans la dégradation profonde de la vie au Japon depuis deux siècles
: n'est-ce pas, précisément, cette situation lamentable qui peut
lui apporter plus de pouvoir que n'en avaient jamais eu ses parents ? Que Yoshiaki
vienne donc s'installer dans la citadelle de Gifu, ce qui le rassurera, pendant
que Nobunaga se rendra à Kyôto sous un excellent prétexte
: faire reconnaître le bon droit de Yoshiaki et prendre la succession
de son frère.
A cette ligne de conduite, hardie mais claire, s'oppose la réalisation, moins assurée. Pour se rendre du Mino à Kyôto, il faut traverser une grande province dont Nobunaga n'est pas le maître, le pays d'Omi : une région riante où abondent les rizières dans les vallées, et les plantations de théiers sur les collines. Que faire si l'un des seigneurs locaux barrent la route ?
Quand un seigneur féodal ne désire pas faire un usage inconsidéré de ses armes, il recourt immanquablement à la seule autre raison qu'il connaisse : celle du clan, matérialisée par un mariage avantageux. Et pour gagner les grâces du gouverneur de l'important château d'Odani, près du lac Biwa, tout proche de Kyôto, Nobunaga offre sa propre sur. Le mariage de la jeune fille et du gouverneur d'Odani, Asai Nagasama, a lieu en 1565.
Nobunaga peut désormais se rendre à Kyôto, ainsi qu'il l'avait promis et qu'il lui avait été demandé et par le tennô, et par le shôgun. Il exécute son plan point par point, présente ses devoirs à l'empereur Ogimachi, lui demande de nommer Yoshiaki shôgun à la place de son frère et réussit en tout. L'empereur le couvre de compliments. Yoshiaki, lorsqu'il apprend la nouvelle, nomme à son tour Nobunaga vice-shôgun, faisant ainsi de son bienfaiteur le second maître administratif du Japon.
1569 est une année faste. Nobunaga reconstruit solennellement le palais shôgunal depuis longtemps réduit en cendres, et bâtit le " Nijô gosho ", heureux compromis entre les demeures princières de jadis et les résidences fortifiées des chefs de guerre que la dureté des temps et les transformations de la stratégie rendent indispensables.
Y-a-t-il donc quelque
chose à rebâtir sur les ruines fumeuses du vieux passé nippon
? de ces fastes d'antan dont demeure seule la nostalgie ? Les imposants toits
de tuiles des bâtiments officiels vont-ils bientôt ressurgir de
la masse des couvertures de fortune, en simples lattes de bois retenues par
un croisillon de petites poutres et traverses - uniforme protection des maisons
ordinaires ? Des nuages assemblés dans la cuvette où git Kyôto,
et que les peintres utilisent avec talent pour rythmer leurs paysages, va-t-on
enfin voir jaillir autre chose que les flammes d'un incendie ou les masses hirsutes
et gesticulantes de soldats en action ?
Peut-être. Mais la paix n'est pas pour demain. Les Oda viennent d'envenimer comme à plaisir leurs rapports avec les Asakura, maîtres de la région située au nord du Mino, ouverte sur la mer du Japon. Kyôto, fermée sur trois côtés par des montagnes, peut être isolée en tenant quelques verrous bien placés, mais à condition de ne pas oublier le quatrième : celui qui s'ouvre sur la mer Intérieure où, justement, les troupes des Asakura s'apprêtent à débarquer.
Pour comble d'infortune, une révolte menée en sous-main par les religieux, autres puissants de l'époque, se déclare dans la province de Settsu. Malin, le shôgun, embusqué au fond de son palais reconstruit, y voit une occasion inespérée de prestige : il propose ses bons offices aux uns et aux autres et finit par leur faire accepter le principe d'une trêve jusqu'au printemps 1570. Chacun regagne ses terres : le grand jeu meurtrier reprendra avec le dégel.
***
Quelques textes d'époque retraçant la vision européenne du Japon, de Marco Polo aux Pères jésuites qui essayèrent d'évangéliser le Japon jusqu'à sa fermeture (sakoku), et enfin un poème français de la fin du XIXème siècle pour une vision fantastique de la figure du daimyô dans la conscience collective européenne
II
De l'île de Zipangu
L'île de Zipangu,
qui est située dans la haute mer, est éloignée du rivage
de Mangi de quinze cent milles ; elle est fort grande ; ses habitants sont blancs
et bien faits ; ils sont idolâtres et on un roi qui est indépendant
de tout autre. Il y a dans cette île de l'or en très grande abondance
; mais le roi ne permet que fort difficilement qu'on en transporte hors de l'île.
C'est pourquoi aussi il n'y a guère de marchands qui aillent négocier
dans cette île. Le roi a un palais magnifique, dont la couverture est
de lames d'or pur, de même que chez nous les grandes maisons le sont de
plomb ou de cuivre. Les cours et les chambres sont aussi couvertes de ce précieux
métal. On trouve en ce pays-là des perles en abondance, rondes,
grosses, et de couleur rouge, qui sont bien plus estimées que les blanches.
Il y a aussi d'autres pierres précieuses, lesquelles, jointes à
la grande quantité d'or qu'il y a dans cette île, la rendent très
riche.
[
]
VII
De l'idolâtrie et de la cruauté des habitants de l'île de Zipangu
Les Zipanguiens adorent plusieurs idoles différentes : car les unes ont la tête d'un buf, d'autres ont un cochon, d'autres ont un chien, et enfin d'autres de divers animaux. Ils en ont qui ont quatre faces dans une même tête, d'autres trois, une à l'ordinaire et les deux autres à côté, sur chaque épaule. Il y en a enfin qui ont plusieurs mains, les unes quatre, les autres vingt, et d'autres jusqu'à cent ; celles qui ont le plus de mains sont estimées plus véritables. Et lorsqu'on demande à ces gens-là d'où ils tiennent cette tradition, ils répondent qu'ils imitent en cela leurs pères, et qu'ils ne doivent point croire autre chose que ce qu'ils ont reçu d'eux. Les Zipanguien ont une autre coutume ; quand ils attrapent quelque étranger, s'il peut se racheter de leurs mains par argent ils le laissent aller ; mais s'il n'a point d'argent, ils le tuent et le font cuire ; après quoi ils le mangent avec leurs amis et leurs parents. "
Le Devisement du Monde, Marco Polo (1299)
***
" Voici ce que j'ai retenu de ce pays du Japon. [ ] C'est une terre bien ombragée et agréable, avec nombre de pins et de cèdres, de pruniers, de cerisiers, de pêchers, de lauriers, de châtaigniers, de noyers et d'yeuses, qui donnent beaucoup de glands, de chênes-lièges, de rouvres, et de treilles de raisins blancs [ ]. Cette terre du Japon est entièrement cultivée. Elle donne chaque année trois récoltes, et cela se passe ainsi : en novembre, ils sèment le blé, l'orge, des navets et des raves et d'autres herbes, semblables à des bettes, qu'ils mangent ; en mars, ils sèment du panic, du mil, des pois mungos, des céréales, des pastèques, des concombres, des melons ; en juin, ils sèment du riz, des ignames, des aulx, des oignons. Et chaque fois en amendant la terre avec du crottin de cheval, et tous creusent à la houe, et ils laissent reposer la terre un an. Le labour de cette terre se fait avec des petits chevaux très robustes, parce qu'en ce pays il n'y a guère de vaches et seulement quelques bufs. En bien des endroits, il n'y a ni porcs, ni chèvres, ni moutons, ni poules, à part quelques unes, et ces poules donnent une chair bien mauvaise à manger. Il y a des cerfs, des lapins, des cailles, des tourterelles, des fauvettes et des macreuses. Ils chassent et mangent tout cela ; et ils tuent les cerfs à coups de flèches, de même que les lapins. Ils chassent les oiseaux avec des filets, et les rois le font avec des éperviers, qu'ils ont là splendides, et aussi des autours et des faucons, et on m'a dit qu'ils chassaient également avec des aigles royaux, et qu'il n'y avait que les grands seigneurs qui pouvaient avoir de tels oiseaux pour leur délassement [ ]
Cette terre du Japon tremble parfois, et c'est un pays où il y a beaucoup de soufre. Il y a de nombreuses îles de feu ; certaines sont peuplées et d'autres non ; la plupart sont de petites îles. Ce pays du Japon est très venteux et plein de tourmentes. Le temps change à chaque nouvelle ou pleine lune. Surtout au mois de septembre, où il survient un vent si violent que tous le redoutent, car il met à sec les navires, à trois ou quatre brasses à l'intérieur des terres ; et s'ils sont à terre, parfois ils se retrouvent en mer. En ce temps où j'y étais, à trente lieues de là, soixante navires chinois et une nef portugaise se sont ainsi perdus. Ce vent dure vingt-quatre heures ; il commence au sud et finit au nord-est, courant dans toutes les directions. Il est connu par une fine pluie qui le précède ; avec ce signe avant-coureur, les gens de ce pays peuvent se mettre à l'abri [ ]
Les maisons de ce pays sont basses en raison des vents, elles sont bien faites, entièrement de planches ; elles ont des toits de bois avec de nombreuses pierres dessus, en raison des vents, et ne sont pas clouées. Ces maisons sont à une coudée du sol. Elles sont divisées en chambres et antichambres, et une pièce où ils ont leur pagode [idole], et où personne ne dort ; les planchers sont couverts de matelas de paille très propres et très bien faits, où nul ne marche chaussé. Ces maisons n'ont aucune sorte de fermeture ni de serrure. Elles ont de grands jardins, bien couverts de rochers épars, d'une hauteur d'une demi-brasse et d'une largeur équivalente, tous entourés de terre ; dans ces espaces comblés, il y a de nombreux arbres fruitiers, des lauriers, et des férules semées au milieu ; et à l'extérieur comme à l'intérieur de belles claies de bambous entrecroisés. On y sème toutes sortes d'herbes fines et potagères qu'ils mangent. Chaque maison a un puits, et chacune de ces maisons a un coq et une poule, et il n'est pas d'usage qu'elles en aient davantage. Et dans ces mêmes jardins, on sème du lin chanvreux, dont ils s'habillent, et chaque maison a son métier à tisser et son fourneau, son moulin de bois pour piler le riz, et une meule de pierre pour moudre le blé.
Les habitants du Japon sont pour la plupart de stature moyenne, et très durs au travail. Ils sont blancs avec des traits de bonne apparence. Les gens d'honneur ont la barbe rase à la façon des Maures, les hommes de basse condition la laissent pousser ; la plupart se rase ordinairement le crâne en couronne jusqu'au toupet et aux oreilles ; et leurs cheveux se rassemblent dans le toupet où ils sont longs et attachés. Ils vont toujours têtes nues ; seuls les vieux, quand il fait froid, se couvrent d'une toque de soie. Leurs vêtements sont des cabayes [tuniques à la chinoise] courtes qui leurs tombent sur les genoux, avec des manches jusqu'aux coudes, qui sont tout ouvertes ; ils ont les bras découverts depuis le coude jusqu'à la main, et sur les cabayes, ils portent un pourpoint de lin brut qui semble du cendal [sorte de camelot très fin], lequel est blanc ou noir ou gris ou bleu, et peint aux épaules et sur les devants de rose ou d'une peinture agréable, bonne et très naturelle. Et ils ont des chausses de la même manière, très larges et longues, ouvertes sur les flancs, avec des rubans pour les serrer, et ces chausses ont devant et derrière des arçons de cuir, comme pour les chevaux, de quatre ou cinq doigts de large et de haut, doublés de la même étoffe, et lesdites chausses sont attachées par-dessus les cabayes et les gilets de cuir. Ils portent des souliers de paille avec le pied à moitié dehors, et ils trouvent cela d'une grande élégance.
Ce sont des gens d'orgueil et susceptibles. Tous ont d'ordinaire des armes blanches, grandes et petites ; ils prennent l'habitude de les porter dès l'âge de huit ans. Ils ont un grand nombre de lances, de hallebardes et autres guisarmes. Ils sont ordinairement bon archers avec de grands arcs comme les Anglois. Ils ont des armes de corps, de maille et de fer, très claires et peintes. Ce sont des gens peu cupides et très affables. Si vous allez sur leur terre, les plus nobles vous invitent chez eux pour dormir et manger, comme s'ils vous voulaient dans leur cur. Ils sont très désireux de savoir des choses de nos pays, et d'autres, s'ils osent vous questionner. Ils ne sont pas jaloux [ ]
Ils ont beaucoup de vénération pour leur roi, qui est très estimé parmi eux. Les fils des nobles les plus importants du royaume le servent, et sont fort bien rémunérés. Ils se mettent à genoux, les deux mains sur le sol quand ils reçoivent ou apportent quelque chose. Ces gens aiment parler doucement, et ils sont choqués de nous entendre parler si rudement. Si ce sont des personnes du même rang, ils se reçoivent à genoux, les mains sur le sol, jusqu'à ce qu'ils s'asseyent, et c'est là leur politesse. Quand le roi sort, il emmène sa garde. S'ils croisent le roi dans les rues, ils s'accroupissent tous, les souliers à la main, jusqu'à ce qu'il soit passé ; et ainsi font les petits devant les grands [ ]
Ce sont de grands cavaliers ; ils ont des chevaux nombreux mais petits ; ils ont des selles sanglées et une bride qui ressemblent aux nôtres ; les mors sont comme les nôtres. Les rois et les seigneurs ont de bons chevaux, qu'ils élèvent. Ils combattent à cheval [ ]
Les demeures des rois sont éloignées de la mer de deux lieues environ. La forteresse est ainsi : ils cherchent une colline isolée des autres ; elle doit être de terre et avoir des sources et des puits ; elle est taillée à la houe, de manière à ce que chaque butte ait sa maison et l'on fait autant de buttes que l'on désire avoir de maisons ; elles sont dans ces rues de la hauteur des buttes, et elles on sept à huit brasses de haut, et de la terre qu'ils retirent de ces rues, ils font le mur d'enceinte de cette forteresse ; et ce mur est si haut que toutes les maisons sont plus basses, et ceci pour les grands vents qu'il y a en ce pays. La maison du roi est au centre, plus haute que toutes [ ]
Ils sont très dévots envers leurs idoles ; le matin, tous se lèvent et prient un rosaire à la main, et à la fin, ils prennent les rosaires et s'en flagellent les doigts. Ils disent qu'ils demandent à Dieu de leur donner la santé et les biens temporels, et de les délivrer de leurs ennemis, et tout cela chez eux devant les idoles qu'ils ont à la maison [ ]
Les femmes sont très bien proportionnées et très blanches, elles se mettent du fard et de la poudre, elles sont très douces et tendres. Et les femmes nobles sont très chastes et très respectueuses de l'honneur de leur mari. Il y a aussi d'autres femmes mauvaises et rusées ; et il me semble qu'il y a également des sorciers et des sorcières [ ] Les femmes honorables sont grandement estimées de leurs maris, et ce sont elles qui les gouvernent. "
Jorge Alvares (1547)
***
" Premièrement, il dit que l'île du Japon est longue de six cent lieues, elle est gouvernée par un roi, sous lequel il y a d'autres seigneurs à la manière des ducs - dans tout le Japon, il y en a quatorze. Et quand meurt un de ces seigneurs, son fils aîné est l'héritier, et on attribue aux autres fils certaines places pour leur entretien, ces derniers devant obédience au premier, de manière à ce que l'état ne soit jamais divisé. Le plus petit de ces seigneurs dit qu'il a dix mille soldats, d'autres quinze, d'autres vingt, d'autre trente.
Le roi principal s'appelle Vo [Ô ou Dai Ô, l'empereur] en leur langue, il est de la meilleur caste qui existe parmi eux, et ceux de cette caste ne se marie pas en dehors d'elle. Ce Vo semble être comme le Pape chez nous, il a juridiction sur les séculiers comme sur le clergé qui est très nombreux en ce pays. Et bien qu'il ait autorité plénière sur tout, il n'exerce aucune justice sur personne, mais en laisse tout le soin à un autre d'entre eux, qui est comme l'empereur chez nous, lequel s'appelle Goxo [Go-sho, le shogun] qui commande et gouverne à tout le Japon, et cependant doit obédience audit Vo. Et quand le Goxo rend visite au Vo, il se tient un genou sur le sol, et s'il a mal fait quelque chose, le Vo peut le priver de royaume et lui couper la tête, le cas échéant.
[ ]
Il dit aussi qu'il y a de nombreux petits seigneurs, comme chez nous les comtes et autres seigneurs locaux. Parmi ces gens, on distingue les gentils-hommes, des marchands et des officiels de toute chose, comme il y a chez nous, et une hiérarchie entre les personnes de même manière que chez nous. "
Père Nicolas Lanzillotto (1548)
***
Le Daimio
Sous
le noir fouet de guerre à quadruple pompon,
L'étalon belliqueux en hennissant se cabre
Et fait bruire, avec des cliquetis de sabre,
La cuirasse de bronze aux lames du jupon,
Le
Chef vêtu d'airain, de laque et de crépon,
Otant le masque à poils de son visage glabre,
Regarde le volcan sur un ciel de cinabre
Dresser la neige où rit l'aurore du Nippon.
Mais
il a vu, vers l'Est éclaboussé d'or, l'astre,
Glorieux d'éclairer ce matin de désastre,
Poindre, orbe éblouissant, au-dessus de la mer ;
Et
pour couvrir ses yeux dont pas un cil ne bouge,
Il ouvre d'un seul coup son éventail de fer
Où dans le satin blanc se lève un Soleil rouge.
Trophées
(1893), José Maria de Heredia
Sources documentaires
Les sources documentaires sur le Japon de cette époque sont assez fournies et accessibles, que ce soit en français ou en anglais. En ce qui me concerne, je vous conseillerai les quelques ouvrages suivants :
Histoire du Japon et des Japonais - Tome I, Edwin O. Reischauer, éd. Seuil, coll. Points histoire.
La civilisation japonaise, Vadime et Danielle Elisseeff, éd. Arthaud, coll. Les grandes civilisations.
Traité de Luis Frois, S.J. (1585), Luis Frois, éd. Chandeigne, dont sont extraits les textes du capitaine Jorge Alvares et du Père Nicolas Lanzilloto.
Hideyoshi, Danielle Elisseeff, éd. Fayard, ouvrage auquel j'ai emprunté de très larges extraits pour bâtir mon introduction.
Dans le domaine des arts visuels, je vous conseille naturellement, pour ceux qui ne l'auraient pas encore fait, de regarder l'uvre importante (mais pas exclusive) de Akira Kurosawa sur le sujet (Ran, Kagemusha, les Sept samuraïs, ). En bandes-dessinées, seules deux séries m'ont jusqu'à présent donné satisfaction par leur souci d'historicité : Kogaratsu, de Michetz et Bosse, éd. Dupuis, 10 tomes. Sans prétendre être un spécialiste, je peux dire qu'il s'agit véritablement d'un pur joyau et que les auteurs ont fourni un travail de documentation considérable, contrairement à nombre d'autres bandes dessinées qui prétendent traiter le sujet des samouraïs et commettent un nombre incalculable d'erreurs historiques. Le même dessinateur de cette série a produit un bel ouvrage en deux tomes, Tako, éd. Glénat, qui est plus centrée sur les personnages féminins de cette époque.
Une autre série qui semblait prometteuse mais qui s'est rapidement dégradée par la suite : Le vent des dieux. Je n'ai pas les références sous les yeux mais vous devriez trouver très facilement dans votre librairie de bandes dessinées. Je conseille, si mes souvenirs sont bons, les trois ou quatre premiers tomes.
Enfin, pour ceux qui voudraient saisir une image des courants religieux de l'époque, je vous conseille vivement une visite au Musée Guimet des Arts asiatiques, section Japon. Le Musée a été réaménagé de manière magnifique et les explications sont très bien faites, même pour les néophytes.
J'espère donc que ce jeu sera pour vous l'occasion d'approfondir votre connaissance du Japon.
Cordialement,
Samuel BOIS